Jardins

Les jardins d’Étretat, là où l’homme modèle la nature (FRANCE)

8 octobre 2022

Créer un jardin, le construire, le dessiner, le planter, le tailler, c’est comme écrire un livre. Les plantes sont les mots et le jardinier, l’écrivain. Avec des mots identiques, dix auteurs écriront des histoires différentes. Avec les mêmes plantes, dix jardiniers réaliseront des espaces singuliers. Il n’y a pas plus intéressant que jouer avec le même matériau pour en tirer des expressions nouvelles. Tout créateur est un modeleur de matière première, et plus la matière est simple, plus la réalisation peut devenir sublime.

À Étretat, c’est précisément ce qui fascine le plus.

Partant d’une poignée de végétaux de base, certains très « communs », le paysagiste Alexandre Grivko, a révélé le matériau en le ciselant, le sculptant, le domestiquant jusqu’à le rendre aussi malléable qu’une argile dans la main d’un potier.

Homme de l’art depuis des années, passionné par le paysage et l’horticulture, Alexandre Grivko s’est fait connaître dans des cercles fermés de riches propriétaires qui lui ont confié la réalisation de leurs jardins privés à travers le monde. Il compte aujourd’hui parmi les plus grands paysagistes du moment. Audacieux, inspiré, rigoureux, sa maîtrise du végétal vient certainement d’une capacité hors du commun à appréhender les espaces.

C’est sur la côte normande qu’ il décide en 2016 de faire bénéficier le public de sa vision jusqu’alors réservée à quelques privilégiés, et réalise un jardin dans un des endroits les plus improbables qui soient.

La parcelle de terrain de la villa Roxelane qu’il acquiert alors avec ses partenaires, est en fait un défi pour un paysagiste. En pente et en pointe, le terrain, pour le moins ingrat et battu par les vents, est une réplique aplatie de la fameuse aiguille de la falaise lui faisant face, celle-là même immortalisée par les impressionnistes tout autant que par Arsène Lupin. Ce capital de base est un atout stimulant pour l’imagination mais il impose aussi ses critères. Autrement dit, dans un tel lieu, difficile de ne pas vouloir se surpasser !

Alexandre Grivko avait peut-être en tête la phrase d’Arsène Lupin dans « L’aiguille creuse » de Maurice Leblanc :

Je réfléchis d’abord, je tâche avant tout de trouver l’idée générale de l’affaire, si je peux m’exprimer ainsi. Puis j’imagine une hypothèse raisonnable, logique, en accord avec cette idée générale. Et c’est après seulement que j’examine si les faits veulent bien s’adapter à mon hypothèse.

Toujours est-il qu’il a fait en sorte « d’adapter les faits à son hypothèse », ne lésinant pas sur les moyens en hommes, en matériel et en matériaux afin de faire aboutir son projet en un temps record. Il se réfère volontiers, pour expliquer ses choix, au jardinier de Versailles, André Le Nôtre, qui n’avait à l’époque employé qu’une quantité limitée de végétaux, dûment taillés, afin d’obtenir des effets visuels remarquables. Sans doute. Mais il y aussi certainement de l’inspiration japonisante dans son art du ciselage et de la précision ainsi qu’une perception très particulière de la courbe, de la déclivité et du volume. Et c’est ce qui le rend exceptionnel. 

L’espace, précédemment un sage parc de maison de vacances, a été entièrement repensé et planté comme on aurait tissé une grande étoffe végétale de plusieurs fils verts afin qu’elle épouse le flanc de la falaise.

Et puis, le créateur a sublimé le matériau pour en faire surgir des spirales, des bosses et des creux, des moutonnements, des dégradés, des coquilles et des tentacules, des arches et des cubes. Bref, il a joué avec les formes au point où la terre ne se voit plus du tout et où le jardin est devenu une sculpture à lui tout seul. 

Cet exploit végétal est hors du commun et très certainement une nouvelle manière de concevoir un paysage. En harmonisant les lignes et les teintes de vert des feuillages persistants, les tailles précises, le tracé des chemins et l’apparition d’œuvres d’art complètement immergées dans le paysage, ce lieu transporte dans une autre dimension.

Il faut lâcher prise et se laisser glisser le long des allées comme une vague fait rouler un caillou sur la grève. Il faut oublier la pesanteur et s’imaginer rebondir entre ces coussinets verts et douillets et tous ces méandres inattendus. Il faut se fondre dans l’œuvre pour qu’elle nous berce et nous enchante. Il faut s’autoriser et s’amuser, abolir toutes ses références. Ici, on est dans un livre d’enfants, un tableau, une histoire ou un conte.

Tant que vivra le verbe – Villi Melnikov et Sergey Katran – Moscou

La réalité a changé de visage et le jardin a trouvé une autre forme d’expression.

Les gouttes de pluie de Samuel Salcedo – Barcelone

On savait que la taille est un moyen de magnifier n’importe quelle plante et que la multiplication de végétaux taillés peut donner des impressions visuelles fabuleuses. Ici, Alexandre Grivko nous montre que la taille peut devenir pure poésie au bout de ses doigts de paysagiste jardinier. 

Texte : Claudia Gillet Meyer – Photos : Stéphanie Bérusseau et Claudia Gillet Meyer

EN SAVOIR PLUS :

Les jardins d’Étretat :

https://etretatgarden.fr/?gclid=CjwKCAjwv4SaBhBPEiwA9YzZvMgww1Dle99aq0Ipi_TFvBuRtUOiSvC0SOOof8Bn-dVzTlS-wTfJQRoC_8sQAvD_BwE

Il Nature Landscape design :

https://ilnature.co.uk

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