Les cimetières sont des lieux particuliers.
Espaces dédiés aux absents, ils sont une projection de ce que les vivants veulent témoigner à leur proches, avec toute la diversité que cela représente.
De l’exubérance à la simplicité, de l’ostentation au dépouillement, les sépultures, au fil des temps, ont rivalisé de créativité ou de banalité, rendant certains cimetières attractifs et romantiques quand d’autres s’avéraient austères ou sinistres.
Peut-être parce que la représentation de la mort n’est pas une chose facile. C’est souvent une réalité dont on repousse la venue et l’architecture de la tombe tend à rendre hommage à la vie terrestre des disparus plutôt qu’à l’évocation de leur vie spirituelle.
Du moins dans la plupart des cimetières, car celui des Servantes de Marie, d’Anglet, échappe totalement à la norme.
Dans un espace pris sur les dunes, protégé par une pinède, à un battement de cil des plages et des restaurants bondés de la côte, se trouve un alignement modeste de pâtés de sable, qui se fondent dans le paysage.
C’est un cimetière singulier, où sol et tombes fusionnent dans le même matériau, reliant les êtres disparus aux éléments, dans un dépouillement extrême et magnifique.
Sept coquilles forment une croix sur chacun de ces tumuli (cinq sur le dessus et une de chaque côté) aux dimensions parfaitement identiques. Un petit arbuste agite son feuillage à la tête de chacune de ces sépultures paraissant si fragiles dans leur édification éphémère.
La première impression est saisissante. Deux allées de cyprès plantés en forme de croix scandent le paysage, seul élément vertical dans toute cette horizontalité.
Le silence est total, la civilisation semble si loin. On se surprend à avancer à pas feutrés tout en ressentant une immense sérénité. Il n’y a ici que paix et légèreté, comme si la mort n’est qu’une formalité vers l’au-delà. Des bancs, posés aux extrémités, sont les bienvenus car il est indispensable de se poser un moment dans ce décor irréel, rempli de poésie, de compassion et d’humilité.
L’histoire de ce lieu est hors du commun.
En novembre 1838, le père Louis-Édouard Cestac, alors vicaire à la cathédrale de Bayonne, achète ici un domaine agricole, qu’il se voit contraint de payer à crédit. Cet achat démesuré pour sa bourse, est motivé par une cause noble.
Il doit créer un lieu capable d’accueillir les prostituées de Bayonne qui lui demandent aide et protection. En effet, ce jeune prêtre a déjà une réputation dans cette ville portuaire où la misère touche de plein fouet la jeune population féminine.
Dès sa nomination à la cathédrale, en 1831, il est ému par les orphelines en haillons qui parcourent les rues pour survivre et en 1836, il fonde pour elles un foyer d’accueil dans une maison prêtée par la commune de Bayonne, dénommée « Le grand Paradis ». Quand les prostituées viennent frapper à sa porte, il se retrouve face à un cas de conscience car s’il semble impossible de les faire cohabiter sous le même toit que les orphelines, il est tout aussi impensable de leur refuser l’asile. C’est ainsi qu’il s’endette pour acheter ce domaine qu’il appellera « Notre-Dame du Refuge ».
Très vite, un groupe de jeunes filles va venir s’y installer ainsi que des bénévoles, dont sa sœur Elise, destinées à les encadrer, les éduquer et les assister. C’est en janvier 1842 que les jeunes éducatrices deviennent les premières Servantes de Marie.
Les jeunes filles marginales ne rentrent pas dans la communauté des Servantes de Marie mais, quelques années plus tard, un petit groupe de ces prostituées « repenties » qui étaient venues travailler les dunes pour aider un vieillard sur ses terres, conviennent d’un désir profond de se consacrer à une vie solitaire. En 1851, la communauté contemplative des Bernardines est instituée, au sein de la Congrégation des Servantes de Marie.
Il a fallu un travail acharné de la part de l’Abbé Cestac et des jeunes femmes de la congrégation pour arriver d’abord à survivre sur les lieux puis à rembourser les dettes contractées lors de l’achat du terrain. L’abbé cherche d’ailleurs à exploiter les terres au mieux. Déchargé de ses fonctions à la cathédrale dès 1850, il se fait agriculteur et transforme Notre Dame du Refuge en un lieu d’expérimentation et d’innovation dans le domaine agricole. Sa ferme devient un exemple pour les agriculteurs de la région.
Parallèlement, à partir de 1851, l’expansion de la congrégation des Servantes de Marie se fait aussi par l’œuvre des écoles. Soucieux de l’éducation des filles de la campagne, le père Cestac ouvre de petites communautés dans les villages pour y tenir une école, soigner les malades et assister le prêtre dans la paroisse. À Notre-Dame-du-Refuge, la vie se développe. Louis- Édouard Cestac est un Jules Ferry avant l’heure et un précurseur de l’aide sociale.
La semence qui germe du jour au lendemain n’a qu’une durée de quelques jours ; celle qui semble dormir des années dans la terre produit des arbres qui traversent des siècles.
Abbé Cestac
Il meurt en 1868 et sa réputation est celle d’un Saint. Il est d’ailleurs béatifié à la cathédrale de Bayonne le 31 mai 2015 par le Cardinal Amato.
Et le cimetière dans tout ça ?
Il s’est constitué avec la même philosophie que l’ensemble de la congrégation. Les filles qui étaient accueillies venaient, pour la plupart d’entre elles, de la campagne des alentours. Quand les premiers décès les ont touchées, elles ont reproduit ce qu’elles connaissaient, soit un petit tertre de terre qui, vu le lieu, s’est transformé en tertre de sable. Et elles y ont apposé les coquillages ramassés sur la plage, renouvelés, peu à peu, par des coquilles Saint- Jacques. La coquille était le symbole d’une vie mystique, à la recherche de la perle précieuse.
Ce cimetière, réservé à la congrégation, fut autorisé à partir de juin 1854 et il compte actuellement plus de 300 tombes identiques, en sable, que les membres de la communauté aidées de bénévoles, refont chaque année à Pâques selon le même principe.
Elles utilisent un moule, comme les châteaux que font les enfants sur la plage, qu’elles remplissent de sable gorgé d’eau et bien tassé.
Ainsi, ces tumuli passent l’année et affrontent sans trop de dégâts, les différentes intempéries. Le végétal, planté à la tête du monticule de sable, est le seul signe de différenciation. Un plant de lavande pour les Bernardines, du fusain doré pour les Servantes de Marie et du buis pour les filles, remplacé aujourd’hui par un fusain simple (suite à la pyrale du buis).
Aucun autre signe distinctif, ni nom, ni titre. La croix étant matérialisée sur la tombe par les coquilles, le végétal rappelle le vivant. Il est un signe d’espérance car, même dans du sable, la vie peut renaître.
Comment ne pas être ému par autant de simplicité et d’authenticité ?
Aujourd’hui, la communauté continue la vocation sociale impulsée par l’Abbé Cestas, aidée à présent par une association, tout comme elle travaille toujours la terre et vend des légumes sur le site.
Au sein de la métropole urbaine hyper dense du B.A.B. (Bayonne. Anglet. Biarritz), un petit groupe de femmes fait perdurer un héritage de générosité et de solidarité.
C’est par l’entremise d’un cimetière aussi éphémère que le sable – celui qui coule entre les mains du destin – qu’elles quittent ce monde dans l’anonymat.
Pourtant, aussi fragile soit-il, ce lieu affronte vent et marées grâce à la ténacité de toute une communauté qui ne cesse de l’entretenir.
Quelle belle leçon d’entraide et d’humilité !
Texte : Claudia Gillet Meyer – Photographies : Régis Meyer
Tous nos remerciements à la Soeur Jacqueline Bordenave de la Congrégation des Servantes de Marie pour les informations fournies ainsi que les deux photos en noir et blanc et le dessin de Monsieur Romain Cazes.
EN SAVOIR PLUS :
• Cet article fait partie d’une étude sur les tombes et cimetières de Nouvelle-Aquitaine, commanditée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles de cette région.
DRAC Nouvelle-Aquitaine :
https://www.culture.gouv.fr/Regions/DRAC-Nouvelle-Aquitaine
• La congrégation des Servantes de Marie :
https://www.servantesdemarie.com
• Livre : Le vénérable Louis-Edouard Cestac, sa vie, son oeuvre d’après ses écrits et son procès de béatification par l’Abbé P. Bordarrampe
https://www.abebooks.fr/VENERABLE-LOUIS-EDOUARD-CESTAC-VIE-OEUVRE-DAPRES/11898229818/bd
• Livre : Louis-Edouard Cestac – Biographie par Yves Chiron – Mai 2012
https://www.fnac.com/a4125298/Yves-Chiron-Louis-Edouard-Cestac