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    Les étranges églises en bois de Patagonie (Chili)

    1 mars 2021
    2glise de Chiloé, Patagonie, Chili

    Ce n’était pas la première fois que cela se produisait dans une librairie. Un livre qui, comme par enchantement, se détachait du lot pour se mettre en travers de mon chemin, m’empêchant de voir ailleurs. Nous étions à Santiago du Chili et ce magnifique ouvrage était dédié aux églises en bois de l’île de Chiloé. En le feuilletant, j’ai ressenti comme une onde de choc. Ces églises m’ont semblé totalement irréelles, plantées au milieu d’un environnement étrange et inconnu. Mais que faisaient-elles donc là, aux confins de la terre ?

    Le facétieux livre* m’a alors lancé un ordre muet mais irrévocable : il fallait y aller pour le savoir. 

    Près d’Elbun

    C’est une des plus grandes îles d’Amérique Latine mais elle est restée très longtemps isolée, voire presque inaccessible. « Presque » … car les Espagnols réussirent à y accoster au XVII° siècle, et plus particulièrement les missionnaires Jésuites. Il fallait être alors drôlement solide, téméraire ou habité d’une foi à toute épreuve pour oser s’aventurer dans de telles eaux qui n’avaient de pacifiques que le nom.

    Mais sur cette terre hostile vivaient déjà des Chilotes, une population métissée de Chonos, ces nomades des mers de Patagonie, et de Huilliches, une des branches des indiens Mapuche. La rencontre avec ces nouveaux arrivants va donner lieu à un mélange de croyances, de pratiques et de savoir-faire, assez unique dans l’histoire de la colonisation espagnole.

    Chiloé ! Le nom de cette île veut dire « Territoire des mouettes ». Elle est située au nord de la Patagonie chilienne, là où la Cordillère des Andes s’effiloche pour former l’archipel du même nom.

    Les Palafitos de Castro

    Comme la mission des Jésuites était d’évangéliser, ils s’attelèrent à la tâche en s’adaptant à la topologie des lieux, partant pour des expéditions de plusieurs mois à bord de pirogues, à travers l’archipel. Très vite, ils ressentent le besoin de sédentariser les principes de leur foi dans la construction de lieux de culte, mais il est évident qu’ils n’ont ni le matériau, ni les compétences pour édifier seuls des églises, sur cette terre du bout du monde. C’est ainsi que naît une improbable collaboration entre les préceptes européens et les modes de construction (et de pensées) huilliches, qui va produire une architecture particulière.

    Les natifs de l’archipel savent bâtir en bois, et uniquement en bois, qu’il s’agisse de bateaux ou de maisons ; ils vont donc reproduire la technique des premiers pour les toitures et celle des seconds pour le corps du bâtiment qui, tout recouvert de bardeaux, sera néanmoins rehaussé sur des fondations de pierre pour l’isoler de l’humidité.

    Des dizaines d’églises sont ainsi construites, assemblées majoritairement en cyprès et en mélèze, sans l’aide de clou, et toutes judicieusement posées à l’abri des vents mais proches de la mer afin de permettre aux prêtres de venir facilement officier. Le style s’affine incluant la part de mystère, et de croyances, propre aux communautés autochtones. Il reste de cette époque l’église d’Achao qui a conservé une grande partie de sa structure d’origine.

    Et puis de nouveaux missionnaires jésuites arrivent au XVIII° siècle. Ceux-là viennent d’Europe Centrale et le doux mélange des genres va s’enrichir à nouveau. Ils amènent avec eux les modèles néo-classiques et baroques de leurs pays respectifs : la Hongrie, la Bavière, la Transylvanie … et donnent une nouvelle impulsion à ces constructions qui vont gagner en décoration.

    Elles s’ornent de clochers plus élaborés qui servent parfois de phares pour les marins, d’arcades et d’une statuaire que les locaux continuent à interpréter avec leurs traditions ancestrales.

    On parle alors d’une « École chilote d’imagerie religieuse » qui est un vrai mélange, un produit du syncrétisme culturel avec des influences européennes, latino-américaines et autochtones.

    C’est notamment sur cet exceptionnel métissage et sur le caractère unique de ces édifices en bois que s’appuie l’UNESCO pour inscrire en 2000, 16 églises de Chiloé sur la liste du Patrimoine mondial, parmi les dizaines qui ont été édifiées sur ces terres lointaines. 

    Découvrir ces églises est un voyage au cœur d’une mystérieuse spiritualité. L’apparente simplicité, voire parfois l’austérité de leurs extérieurs, ne sont que façades. L’intérieur est incroyablement joyeux et accueillant avec des couleurs chaleureuses.

    C’est une invitation à la sérénité.

    On s’y sent bien, en harmonie avec le Dieu qui nous convient le mieux, puisqu’ici, au bout du monde, les hommes ont décidé que toutes les religions n’en font qu’une.

    Église de Tenaun

    *  En allant un an plus tard à Chiloé, j’ai recherché partout ce livre mais il semblait inconnu de tous les libraires. Était-il le fruit de mon imagination ou l’effet des sorciers qui peuplent encore cette île ?

    Église d’Ichuac

    Le texte est de Claudia Gillet-Meyer et les photos sont de Claude Gillet-Meyer et Régis Meyer.

    EN SAVOIR PLUS :

    • Les sorciers de Chiloé par Mike Dash

    • Les églises de Chiloé

    http://docplayer.fr/163068216-Les-eglises-de-chiloe-no-971.html