L’histoire des haciendas du Yucatan est autant époustouflante que tragique.
Elle mêle d’ailleurs les extrêmes au point d’avoir générer des architectures et des comportements incroyables.
Pour la comprendre, il faut se replonger dans le contexte de l’époque. Imaginez-vous dans cette province du Mexique, baignée par la mer des Caraïbes. Cette terre des Mayas qui semble si ingrate : sèche, plate, peu fertile.
Ce fut ce que découvrirent et colonisèrent les Espagnols. Ils n’étaient cependant pas question de l’abandonner à d’autres, aussi tentèrent-ils d’y faire de l’agriculture et du bétail et construisirent des haciendas sur le modèle andalou qu’ils connaissaient si bien. C’était en fait des communautés réunies sous la main de fer du « hacendado », le propriétaire, qui exploitait autant les terres que les gens qui y travaillaient. Le résultat n’était pas très satisfaisant et les tensions avec les populations mayas … extrêmes.
La découverte du « henequen »
Et puis, le vent de la marine marchande est venue souffler sur cette terre comme les ouragans qui la ravagent si régulièrement. Le monde changeait en ce milieu du XIX° siècle et le Yucatan possédait un trésor que les colons n’imaginaient même pas. Il se trouve en effet que les mayas connaissaient les ressources de leur terre et notamment celle d’une cactée, un agave aux feuilles longues et pointues dont ils tiraient des fibres pour confectionner des cordages. C’est exactement ce qu’il fallait à la marine et en un temps record les haciendas se transformèrent en immenses plantations de cette agave dénommée henequén par les Espagnols. On la connut très vite sous le nom de Sisal, donné par le port d’où partaient les cargaisons.
Époustouflantes haciendas
C’est ainsi que l’architecture suivit avec démesure cette expansion qui semblait infinie. Les haciendas devinrent de vrais villages avec des milliers de péons qui travaillaient dans des conditions à la limite de l’esclavage. On y trouvait la maison du maître, de l’intendant, la chapelle, les bâtiments de traitement et de transformation des fibres, les cabanes des ouvriers, l’infirmerie et même la prison.
Avec des ouvriers sous-payés et une demande croissante pour ce que l’on appela alors l’or vert, les propriétaires devinrent riches, immensément riches. Ils embellirent de manière délirante leurs demeures faisant venir meubles, miroiterie, lustres, vaisselle, etc. d’Europe. Le résultat fut somptueux.
Ces demeures avaient un raffinement exquis, un confort européen en matière de sanitaires, de grandes terrasses scandées d’arcades pour rafraichir les intérieurs, des bassins, des jardins luxuriants et une vie de fêtes et d’insouciance.
On raconte encore qu’un des propriétaires se paya le luxe un jour de perdre son hacienda aux cartes, dans un accès d’excentricité, tant l’argent coulait à flot.
Et comme la vie dans les haciendas était parfois monotone, les hacendados firent aussi construire des palais dans la ville de Mérida pour s’y retrouver entre amis, durant la saison hivernale. Le Paseo Montejo le long duquel s’alignent ses demeures était la copie des Champs d’Élysées de Paris !
Cette manne transforma profondément le Yucatan où plusieurs dizaines d’haciendas contrôlaient des milliers d’hectares, assujettissant la main d’œuvre par un système paternaliste d’endettement permanent dû à des salaires extrêmement bas.
Le temps de l’oubli
Et puis, PATATRAS ! Quelqu’un, quelque part ailleurs, osa inventer le nylon et la fibre de sisal perdit rapidement tout son attrait. Si l’on ajoute à cela les réformes agraires déjà en cours à partir de 1938 pour abolir ce système d’exploitation odieux et injuste, on peut dire que l’âge d’or des haciendas du Yucatan était terminé. Tout alla ensuite assez vite. Les propriétés furent démantelées, les bâtiments abandonnés et le tout tomba peu à peu en ruines. Le temps de l’oubli balaya le temps des splendeurs.
Le renouveau
C’est à partir des années 1990, qu’un nouvel intérêt s’est manifesté pour ces demeures … ou ce qu’il en restait. Pour celle ou celui qui s’attache à l’architecture de ces lieux, il faut reconnaître que ces constructions étaient remarquables. Quelques-unes étaient restées debout et elles furent alors restaurées, soit transformées en musées comme repères d’une époque, soit complètement remodelées en luxueux complexes hôteliers ou en résidences privées.
En se donnant la peine de les chercher, on peut donc aujourd’hui retrouver au bout d’un chemin terreux ou enfouis dans la végétation, ces magnifiques enfilades d’arcades, ces murs aux couleurs ocre jaune ou rouge, ces portails d’inspiration mauresque, ces pièces si bien ventilées aux jolis carrelages géométriques, ces atmosphères surannées et magiques.
Mais le plus émouvant, au-delà des pierres qui nous parlent du faste d’antan, est de rencontrer encore de nos jours, au hasard d’une visite, un ancien témoin qui éprouve le besoin viscéral d’expliquer le mode de vie et de travail d’alors.
Texte de Claudia Gillet-Meyer et Régis Meyer.
En savoir plus :
Deux haciendas transformées en hôtels :
Hacienda PETAC : https:// haciendapetac.com
Hacienda San Antonio Millet : ibasulto@amigoyucatan.com
Une hacienda musée :
Hacienda Yaxcopoil : https://yaxcopoil.com
Un livre:
Le temps perdu des haciendas, Tana Éditions 2004