Au sud de Florence et au nord de Sienne, se trouve un petit joyau appelé le Val d’Orcia. Ce territoire merveilleux et idyllique agit comme un aimant sur ses visiteurs et il s’est retrouvé maintes fois peint, décrit puis photographié, depuis les voyageurs du Grand Tour au XVIII° siècle jusqu’aux touristes d’aujourd’hui. En fait, il incarne la Toscane rêvée et éternelle, faite de douces collines couronnées de cyprès, de villages médiévaux et d’abbayes, de vignes et d’oliviers, et de champs de blé ondulant sous le soleil.
Ici, tout n’est qu’harmonie et délice pour le regard, sans faute de goût, tant et si bien que l’on se demande si ce paysage est bien réel.
Que nous voilà ennuyés face à une telle interrogation !
Eh bien, certes, ce territoire existe devant nos yeux avec tous ses attributs réels, mais jusqu’à quel point est-il « réellement » authentique. Là est peut-être la vraie question. Répondre que ce terroir est factice serait une exagération, pourtant il a été pensé, voulu et façonné de toutes pièces par les hommes de la Renaissance, qui ont ainsi créé une sorte de jardin-paysage représentant un lieu proche du paradis, utopique autant qu’idéal, qui aura finalement réussi à devenir naturel à force d’artifice. N’est-ce pas un exercice de style fabuleux ? Et comment cela a-t-il était possible ?
L’histoire se passe au XIII° siècle. Le Val d’Orcia possédait déjà des prédispositions naturelles incontestables et – on vous rassure – personne n’est venu bâtir des collines ou détourner un cours d’eau. Il était traversé (et il l’est toujours) par la Via Francigena qui était un axe très important de commerce et de pèlerinage entre l’Europe du Nord et Rome, et il appartenait au territoire de la ville de Sienne.
L’Italie comptait alors un certain nombre de villes dominantes, autonomes du pouvoir central et souvent en rivalité les unes avec les autres. Sienne était alors une des plus riches d’entre elles, grâce à son commerce et à ses banquiers, et, par voie de conséquence, une des plus puissances financières d’Europe. Sa stabilité politique était assurée par le Gouvernement des Neuf qui la maintint prééminente jusqu’à la Peste qui s’abattit sur la ville au milieu du XIV° siècle.
À cette époque, la richesse économique allait souvent de pair avec un épanouissement culturel et Sienne comptait notamment une école de peintres fort réputée. Ces peintres, qui faisaient partie des « primitifs italiens » et qui furent appréciés assez tardivement en Europe, comptaient parmi eux Ambroglio Lorenzetti auprès duquel le Gouvernement des Neuf passa une commande exceptionnelle : une fresque immense destinée à occuper le palais public et représentant une « Allégorie du bon et du mauvais gouvernement ».
Le peintre illustra un vrai traité politique qui était une allégorie de la paix et de la guerre. Il représenta la ville (de Sienne) et la campagne environnante et divisa les panneaux de telle sorte que les effets du bon gouvernement (d’un côté) et du mauvais (de l’autre) soient suffisamment éloquents pour être reconnus. La campagne mal entretenue, improductive et peuplée de miséreux et de manants s’opposant radicalement à celle, radieuse, propre autant que prospère accueillant bétails et fermiers avec des champs agencés dans l’ordre et l’harmonie.
Et c’est précisément dans cette transcription de la campagne rêvée que les riches marchands siennois investirent leur fortune afin de développer l’agriculture dans le Val d’Orcia, comme un écrin à la ville. Ils aidèrent le peuplement des terres et construisirent villas, bourgs et églises tout en renforçant les idéaux que la Renaissance mettait en avant.
Cette utopie se réalisa en donnant ainsi l’exemple d’une campagne domestiquée, un certain « sentiment de la nature » policée et non sauvage, un paysage créé minutieusement afin d’illustrer la bonne gouvernance.
Si cette construction forcée d’un espace agricole idéal est assez exceptionnelle, ce qui l’est tout autant est la capacité qu’a eu ce paysage de perdurer au fil du temps et de passer à travers les vicissitudes des siècles successifs, réussissant même à se faire contourner par l’autoroute.
Il y eut des périodes moins fastes mais, bon an, mal an, le Val d’Orcia a résisté, ne s’est pas laissé détruire, et a même continué à mettre en valeur cet héritage si particulier. Le classement du Val d’Orcia sur la liste du Patrimoine de l’Unesco en 2004 acheva de le protéger faisant bien prendre conscience aux habitants de la richesse de leur environnement. Aujourd’hui, ils excellent dans la conservation et la valorisation de leurs acquis.
Quand on serpente sur les routes du Val d’Orcia, on est fasciné par la capacité que cette nature a pour capter la lumière, exactement comme une diva sait happer le regard du photographe. Toutes deux sont peut-être un peu artificielles et apprêtées mais est-ce vraiment un problème ? Offrir la beauté en partage est un acte de santé publique, une ouverture vers le cœur, un baume contre la mélancolie tout autant qu’une source infinie d’inspiration. Peu importe les moyens, car même un diamant a besoin d’être poli !
Texte et photos (9,10, 11) de Claudia Gillet-Meyer. Nous avons mentionné le nom du photographe des photos prises sur Internet, lorsque nous l’avons trouvé. Si toutefois, un photographe n’est pas mentionné, qu’il nous le signale.
EN SAVOIR PLUS:
Vallée de l’Orcia : UNESCO
https://whc.unesco.org/fr/list/1026/
Livre : Conjurer la peur par Patrick Boucheron
https://www.seuil.com/ouvrage/conjurer-la-peur-patrick-boucheron/9782021134995
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