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    Boisguérin … la maison qui revient de loin (FRANCE)

    13 octobre 2021
    Bois Guérin

    La maison s’était endormie, enroulée sur elle-même comme un chat, pour ne pas mourir. Elle avait décidé qu’elle survivrait au temps, si elle restait ainsi assoupie, sans que personne ne s’en s’aperçoive. Elle avait fait le gros dos, en quelque sorte, afin qu’on ne vienne pas la piller, la démanteler ou la détruire. 

    C’était une grande maison bourgeoise de vacances, destinée à une famille nombreuse qui vivait à la ville et venait l’investir régulièrement pour profiter de l’air de la campagne, de sa situation privilégiée à l’orée d’un bois, de la liberté des grands espaces. En tant que telle, elle avait été aménagée avec soin et élégance mais sans ostentation, afin que les enfants et les parents puissent s’y sentir à l’aise, mais avec tout le confort moderne de l’époque.

    L’époque remonte au début du XX° siècle. Il y avait alors des employés, qui avaient leurs « quartiers » séparés, une grande salle à manger recouverte de boiseries dessinées par la grand-mère un peu architecte, un salon où l’on discutait, jouait au trictrac ou du piano et une salle de billard pour les hommes.

    Il y avait plein de chambres avec leur salle de bain attachée, et pour les enfants on avait bien tenu compte de séparer les filles des garçons. Les sols étaient en parquet ou en carreaux de ciment aux motifs géométriques et les murs recouverts de jolis papiers peints fleuris.

    Il y avait une clé pour chaque pièce, avec son porte-clés numéroté, que l’on replaçait dans un placard au rez-de-chaussée. Même les armoires avaient leurs clés numérotées, car c’est ainsi que l’on faisait alors.

    Le linge y était bien rangé, tout comme la vaisselle dans l’office, les livres dans la bibliothèque et les souvenirs dans le grenier. Là-haut, sous les toits, la grand-mère s’adonnait à l’encadrement et les enfants venaient remiser leurs jouets.

    La maison accueillait ainsi « sa » famille pour les vacances et s’en sentait privilégiée.  Elle savait qu’elle était un havre de paix, de légèreté, de moments d’insouciance, de retrouvailles et de plaisirs partagés. Elle se laissait bercer par les heures qui s’écoulent et qui rythment la vie des habitants : bruit des couverts autour de la grande tablée, rire et conversations, cris des enfants qui courent dans les couloirs.

    Tout cela dura longtemps et personne dans la famille ne pensa à changer la maison. On l’aimait comme ça et elle passa à travers le temps avec tous ses atours jusqu’au jour où plus personne ne vint. Jusqu’au jour enfin où elle fut mise en vente.

    C’est là que la maison décida d’intervenir et de ne pas se laisser faire. Elle était toujours intacte et comptait bien le rester.

    Le hasard de la vie lui donna raison. 

    Quand les nouveaux propriétaires la visitèrent, ils furent sous le choc. Quelques toiles d’araignée et un peu de poussière s’étaient invités sur les lieux, mais le cœur de la maison continuait toujours de battre au rythme de ses cent ans plus que révolus. Elle était tellement vivante et préservée qu’ils ne purent rien imaginer d’autre que de la laisser en l’état, et repartir sur la pointe des pieds, en chuchotant. Et ils firent cet acte incroyable ; ils l’achetèrent pour ne surtout pas la changer et … encore plus inouï … un des descendants de la famille prit une part dans cet achat.

    Car, dans leur esprit, il fallait construire un projet et celui-ci prit rapidement forme. Cette demeure devait transmette le trésor immense qu’elle recélait ; un formidable témoignage de la vie quotidienne d’une famille française tout au long du XX° siècle. Ils décidèrent alors de réunir l’exploitation agricole et la propriété sous une forme coopérative et d’inclure des actionnaires capables d’être touchés par ce projet un peu fou.

    Depuis, chaque jour, la maison retrouve un peu de son lustre, de son histoire et de ses souvenirs. On la nettoie avec beaucoup de respect, on y découvre des registres, des plans, des documents qui révèlent sa vie d’antan, on range à nouveau les draps et la vaisselle qui n’attendaient que ça, on met des fleurs dans les vases. Elle – la maison – baille, soupire, s’étire et ronronne comme le gros chat qu’elle avait décidé d’être et qui se réveille tout doucement, lançant une patte prudente vers l’extérieur. Qu’elle avait raison de faire le gros dos et d’attendre ! 

    D’autant qu’il n’est pas question de la statufier en musée mais de lui donner seulement l’opportunité de livrer quelques secrets. Ouvrir cette maison avec tout ce qui lui a toujours appartenu – canapés, table de jeu, raquettes de tennis, lustres et petites cuillères compris – est comme passer de l’autre côté du miroir, être un hôte des membres de la famille, remonter le temps et ressentir l’expérience unique d’un quotidien que l’on n’apprend pas dans les livres d’histoire.

    C’était hier, si proche et pourtant si lointain. 

    Texte de Claudia Gillet-Meyer et photos de Régis Meyer

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