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    Las Pozas ou la jungle fantasmée d’Edward James (MEXIQUE)

    13 mars 2021
    Edward James

    Il s’appelait James. Edward James. On le qualifiait de riche excentrique anglais, ce qu’il était absolument. Né en 1907 d’un magnat américain et d’une écossaise mondaine (présumée fille naturelle du Roi Edward VII) il grandit en enfant solitaire et hérite, à la mort de son père, d’une immense fortune.

    Son enfance qui, selon lui, n’en fut pas une, le marque pour le reste de sa vie. Livré à ses rêves et à sa fantaisie, il commence très tôt à s’inventer des mondes parallèles fantastiques qui le fascinent et créent sa nouvelle réalité. Quelques années plus tard, cette inclination le conduit tout naturellement à devenir – entre autres – le mécène de Salvador Dali, de René Magritte ou de Leonora Carrington.

    Si je suis un surréaliste, ce n’est pas parce que j’ai des liens avec ce mouvement, mais parce que je suis né surréaliste. 

    Edward James

     

    La première partie de la vie d’Edward James en Angleterre est assez chaotique, marquée par un mariage raté et beaucoup de désillusions. Poète lui-même et sincèrement épris d’art, son extrême générosité envers les artistes surréalistes n’est pas appréciée à sa juste valeur. On le qualifie de turbulent, inconséquent et même parfois désaxé, lui reprochant d’avoir des caprices de milliardaire.

    En 1939, il part en Amérique, laissant derrière lui ce monde trop étriqué. Il y rencontre Aldous Huxley, le bouddhisme, la psychanalyse et un éveil spirituel qui s’accordent parfaitement avec son univers intérieur.

    La consécration de cet exil est probablement sa rencontre avec le Mexique – pays plus surréaliste encore que les artistes qu’ils financent – et surtout celle avec Plutarco Gastelum qui devient son ami et alter ego jusqu’à la fin de sa vie.

    Avec lui, il entreprend des voyages à travers le pays à la recherche de l’endroit idéal pour s’installer et réaliser son Shangri La, son Eden, son paradis. Quand tous deux découvrent la jungle exubérante qui entoure le petit village de Xilitla, à l’est du Mexique, c’est le coup de foudre. Pendant qu’Edward commence une collection délirante d’orchidées et une arche de Noé de tous les animaux possibles et inimaginables sur un terrain de 45 hectares, Plutarco bâtit dans le village de Xilitla la plus étonnante des maisons pour sa famille et pour y accueillir Edward.

    Pendant quelques années, ce dernier se contente pourtant d’une cabane dans sa jungle où il aime écrire ses poèmes et prendre des bains dans les cascades et baignoires naturelles de son domaine (d’où son nom de « Las Pozas »). 

    Les inhabituelles gelées de l’année 1962 marque la fin de cette époque, en détruisant toutes ses orchidées et en le mettant face à un nouveau défi : transformer cette jungle en un jardin. Et quel drôle de jardin ! Il n’est pas question de plantes tant la forêt tropicale est capable d’en produire toute seule, davantage même que nécessaire. Edward décide plutôt d’intervenir en écho à cette luxuriance, avec des constructions inspirées des nombreux tableaux de ses amis surréalistes et de son imagination débordante. Il emploie Plutarco à plein temps sur ce projet, ainsi que plus d’une centaine de personnes locales qui voient en lui une manne inespérée.

    Il dessine et réalise avec Plutarco des moules en bois immenses pour pouvoir couler le béton, luttant contre un environnement peu propice pour acheminer tout ce matériel dans ce coin retiré du monde.

    Des colonnes sortent de terre ainsi que des escaliers qui ne vont nulle part, des serpents irréels, des champignons géants et des terrasses aménagées. La jungle répond à ces élucubrations avec ses propres ressources, enlaçant certaines sculptures avec ses lianes géantes, recouvrant de mousses ou de plantes les parties les plus à l’ombre, cherchant tout le temps à se réapproprier son territoire. Et Edward adore cela. Ce jeu et ce corps-à-corps avec la nature qui pourrait tout engloutir, fait partie de son projet, de son rêve, de son champ poétique.

    Quand on visite ce jardin, il faut se laisser immerger par ce monde fantasque et fantastique où l’homme et la nature ont accompli une danse fascinante, se renvoyant l’un à l’autre, chacun dans ses limites et ses débordements. 

    Ce jardin n’en est pas un mais il est aussi tous les jardins du monde. Un paradis qui ressemble à l’idéal qui est en nous. Beaucoup de personnes se sont savamment penchées sur la signification de toutes ces constructions qui ont évidemment été qualifiées de surréalistes. On y a vu des allégories et des références à Alice au pays des merveilles, à des délires sous l’emprise de drogues, à l’expression du subconscient, à des œuvres picturales ou littéraires. C’est peut-être vrai, mais ce « jardin » est surtout né de l’exceptionnelle fertilité créatrice de son auteur.

    En fait, Edward James n’a pas été véritablement compris en son temps. Il est rarement cité comme mécène des Arts alors que la liste de personnes qu’il a aidées est incroyablement longue. En tant que poète, il est soit éclipsé, soit controversé. Ses premières biographies l’ont souvent présenté comme un dilettante, aimant davantage souligner les anecdotes croustillantes de sa vie que ses qualités. Et quand on qualifie Edward James d’inconstant, c’est oublier que la plus grande constance de sa vie a été son excentricité. Car il a été le dernier des grands excentriques du XX° siècle et ce titre, à lui seul, est pour moi le meilleur des compliments, gravé dans les réalisations énigmatiques de ce jardin surréaliste.

    Texte de Claudia -Gillet-Meyer et photos de Régis Meyer

    EN SAVOIR PLUS:

    • Article: Au coeur du Mexique, le jardin surréaliste d’Edward James !

    https://laprensafrancesa.com.mx/au-coeur-du-mexique-le-jardin-surrealiste-dedward-james/

    • Thèse : Edward James, poète hypnagogique (1939 -1984) par Didier Girard

    https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02571450/document

    • La propriété de la famille d’Edward James en Angleterre qu’il a transformée en fondation pour la conservation des arts :

    West Dean College – The Edward James foundation fort Arts and Conservation

    https://www.westdean.org.uk

    • Le jardin « Las Pozas » à Xilitla au Mexique

    https://www.laspozasxilitla.org.mx

    • La maison « El Castillo » de Plutarque à Xilitla, transformée aujourd’hui en maison d’hôtes

    https://www.elcastilloxilitla.com

    • En espagnol:

    https://www.leonoracarringtonmuseo.org/xilitla